le 23-12-2023
De la matière fécale de sujets sains pour soigner des patients : à mesure que la science
du microbiote avance, les sociétés biopharmaceutiques développent des médicaments en
se servant des milliards de micro-organismes qui peuplent l’intestin.
Dans sa nouvelle usine de la région lyonnaise – la plus grande en Europe exclusivement
dédiée aux médicaments-microbiote -, la biotech MaaT Pharma cherche à améliorer la survie
de patients atteints de cancers et leur réponse aux immunothérapies en restaurant leur
microbiote abîmé par des traitements intensifs.
Elle conçoit un médicament, le MaaT013, actuellement en dernière phase d’essai clinique
pour traiter la maladie du greffon contre l’hôte, une maladie rare qui survient après une greffe
de cellules souches dans les cancers du sang et qui peut entraîner la mort. Les premiers
résultats de l’essai sont attendus mi-2024, mais ce médicament est déjà disponible dans
plusieurs pays européens pour des personnes qui en ont un besoin urgent.
La biotech table sur la commercialisation de « 9.000 doses annuelles » de cette solution
thérapeutique qu’elle fabrique sur son nouveau site en banlieue de Lyon. Elle réceptionne les
excréments récoltés dans des sortes de pots de chambre hermétiques développés sur mesure.
Ces selles, qui proviennent d’un prestataire de collecte de la région nantaise, arrivent par train
et camion à l’usine dans des cryoboîtes à 5°C et sont traitées au plus tard 72 heures après
émission.
25 paramètres testés
Le but est de mélanger les selles des donneurs pour en obtenir la « substantifique moelle » : un
microbiote riche et varié qui sera réinjecté aux patients à l’hôpital par voie rectale, comme un
lavement, pour recoloniser leur système digestif et restaurer leur microbiote altéré. « Sur 3.000
volontaires qui remplissent le formulaire, seuls 30 répondent aux critères de bonne santé
digestive et de santé mentale » exigés, explique la responsable de production de l’usine, Cécile
Billa-Nys. Car il existe un lien entre santé mentale et microbiote. « C’est le don du sang en un
peu plus poussé », résume la responsable.
Les donneurs, généralement recrutés via les réseaux sociaux et dans les campus universitaires
quelques semaines avant le début de la production, doivent se soumettre, moyennant
indemnisation, à « des tests sanguins tous les 60 jours et des analyses de selles quotidiennes »au fil de la collecte. »Chaque selle est testée sur 25 paramètres pathogènes différents », précise
Caroline Schwintner, directrice du développement technologique de Maat Pharma.
La traçabilité, la consistance et l’aspect visuel de la matière biologique sont vérifiées, avant
d’y ajouter un diluant pour mettre la solution en suspension et protéger les bactéries lors de la
congélation. L’inoculum est alors réparti dans des poches qui sont ensuite placées dans un
incubateur à 5°C puis congelées.
Version gélule
Une formulation en gélule (MaaT033) est en cours d’évaluation pour améliorer la survie des
patients atteints de cancers du sang (résultats attendus pour 2026) et dans la maladie de
Charcot.
D’autres biotechs françaises s’intéressent à ce nouvel horizon thérapeutique. Exeliom
Biosciences développe un médicament qui exploite les propriétés anti-inflammatoires de
Faecalibacterium prausnitzii, qualifiée de « bactérie star de l’intestin ». Enterome s’appuie sur sa
base de données de plus de 20 millions de protéines du microbiome intestinal pour identifier
des traitements. Et dans le diagnostic, la société GMT a élaboré un logiciel d’analyse du
microbiome.
Pour leurs travaux, toutes ces entreprises s’alimentent des données scientifiques sur le
microbiote. Le microbiote est justement au centre d’une vaste recherche menée par l’Inrae, qui
lance lundi une collecte d’ampleur auprès de bénévoles prêts à donner des échantillons de
leurs selles pour faire progresser la science.
« La science du microbiote a avancé de façon impressionnante »
Donner ses selles pour faire progresser la science du microbiote : tel est le projet French Gut
(Intestin français, NDLR), qui a lancé une campagne de recrutement à grande échelle de
donneurs, après une phase pilote. Le professeur Joël Doré, directeur de recherche à l’Inrae
au sein d’une unité dédiée au microbiote, explique les enjeux de cette collecte.
Qu’est-ce que French Gut?
C’est un projet de sciences participatives qui va apporter une meilleure connaissance du
microbiote de la population française, en bonne santé ou malade, de tout âge et de toute
région de France. Il est porté par l’unité de recherche MetaGenoPolis de l’Inrae, en partenariat
avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et d’autres établissements publics et
privés.Une phase pilote a été lancée en 2022 auprès de 3.000 participants (recrutés en trois
jours!). L’objectif est de collecter 100.000 échantillons à travers plusieurs vagues jusqu’en 2027. L’étape d’extraction de l’ADN de bactéries présentes dans les selles de la première
vague de volontaires (phase pilote) a commencé. Il faudra ensuite lire le séquençage et le
croiser avec les données santé et alimentation. Les deux-tiers des volontaires ont déclaré ne
pas avoir de maladies chroniques. On pourra identifier des profils de microbiotes de
personnes en bonne santé pour définir des normes avec des seuils, à l’image des analyses de sang. Il sera alors possible de prévenir des maladies chroniques si le microbiote intestinal n’est
pas dans la norme.
Comment se déroule la campagne?
La nouvelle campagne de recrutement de 7.000 volontaires débute lundi [a débuté début
décembre], suivie de deux autres vagues, au printemps et à l’automne 2024. L’inscription
s’effectue par internet sur le site de French Gut. Le patient remplit un questionnaire sur ses
habitudes de vie, son alimentation et son état de santé. Il reçoit ensuite un kit de collecte à la
maison (un tube avec une mini cuillère) à renvoyer à l’AP-HP qui regarde la conformité et
anonymise les dons de matière fécale. Les échantillons retournent à MetaGenoPolis/Inrae qui
va les stocker dans une biobanque, un immense congélateur.
Où en est la recherche sur le microbiote ?
La science du microbiote a avancé de façon impressionnante. On a pris conscience que
l’Humain est microbien et que cela a une incidence pour les diagnostics, la prévention et la
thérapie. Notre tube digestif recèle quelque 50.000 milliards de bactéries et encore plus de
microbes, levures, champignons, virus. On caractérise les gènes des microbes intestinaux
comme on caractérise le génome humain. La photographie du microbiote peut renseigner sur
le risque de développer une maladie, l’existence d’une pathologie, sa vitesse d’aggravation ou
encore la possibilité de répondre à un traitement, notamment à l’immunothérapie dans le
cancer. On sait par exemple que le microbiote est altéré dans les maladies chroniques comme
l’obésité, le diabète, le cancer, les maladies inflammatoires de l’intestin, les maladies du foie,
des maladies neurologiques et neurodégénératives comme Parkinson. Dans le cadre d’une
étude menée avec l’institut de lutte contre le cancer Gustave Roussy, nous avons constaté que
le microbiote peut prédire la réponse ou non d’un patient à un traitement d’immunothérapie
contre certains cancers. L’enjeu de la médecine de demain sera donc de prendre en compte
cette relation Homme-microbiote pour soigner et aller vers une médecine personnalisée.